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Viktoria, généralement appelée Vika, est ukrainienne et travaille depuis plusieurs années à l’école Anne-de-Kiev en tant qu’ATSEM en maternelle. Elle parle parfaitement français.
Le 24 février, elle et sa famille ont pris peur en entendant les premières attaques. Ils sont partis en voiture de Kiev pour leur datcha, une maison de campagne, à une trentaine de kilomètres de la capitale, près de Makariv.
Ils sont partis à 14 : tous les membres de sa famille et celle de son mari, dont leurs deux enfants âgés de 4 et 8 ans.
La datcha est composée de deux bâtiments : une première bâtisse, la principale, assez grande, et une seconde, plus petite avec une cave.
Le 26 ou le 27 février, Vika n’est plus sûre, ils ont entendu des tirs et des explosions « assez loin ». Mais après quatre ou cinq nuits dans la plus grande maison, en entendant les tirs se rapprocher, ils ont décidé de faire dormir les femmes et les enfants dans la cave de la petite datcha.
« Il faisait froid, mais on avait des couvertures et des vêtements chauds. On était terrifiés, surtout les enfants. On leur disait que les tirs étaient loin, mais nous, nous les sentions se rapprocher. »
Le 4 mars, alors qu’ils dînaient tous ensemble dans la cuisine de la petite datcha, un obus a explosé près du portail de la maison. « Le portail est tout près de la cuisine de la grande datcha, les fenêtres ont volé en éclats. Dans la petite maison aussi mais on avait mis des couettes contre les fenêtres alors personne n’a été blessé. Si on avait dîné dans la grande maison, je ne sais pas ce qui se serait passé. Ça va très vite. On dit qu’il faut se baisser si on entend une explosion, mais en réalité, tu n’as pas le temps. Ça va vraiment très vite, tu n’as pas le temps de comprendre ».
Le 5 mars, ils sont tous partis. La voiture de Vika était abîmée, « il y avait des trous dedans. Alors on a convenu que les femmes et les enfants iraient dans la voiture en bon état, et les hommes dans la nôtre, abîmée, mais qui roulait. Au bout de la rue, on a vu des maisons très endommagées, sans fenêtres, un peu brûlées. Et on est passés sous les bombes. J’avais mes enfants sur les genoux. Et c’est horrible mais j’ai pensé, « Si on meurt, au moins, on mourra ensemble ». »
Vika et sa famille sont partis à temps. Une semaine après leur départ, leur rue à Makariv a été la cible de nombreux tirs d’artillerie. Beaucoup ont été détruites. Un obus est tombé dans le garage de son voisin. Vika dit avoir eu de la chance, ils sont tous sains et saufs, et les murs de la datcha sont encore debout. Le toit a été légèrement endommagé, et bien sûr, les fenêtres ont toutes été soufflées.
« En Ukraine, les parents et les grands-parents voyagent peu. Tout leur argent, ils le mettent dans les travaux de leur maison, plutôt que de partir en vacances. Mes grands-parents et mes parents ont tout fait pour cette datcha. Mon père est décédé il y a deux ans, et il avait tout fait dans cette datcha. C’est difficile de la savoir si abîmée, détruite, parce que quand je touche les murs, je sais que ce sont les mains de mon père qui les ont faits. Mais le principal est que tout le monde soit vivant. Mes proches, mes amis et mes voisins vont tous bien. Les gens ont raison quand ils disent que le principal est d’avoir la vie sauve. »
Déplacés dans l’Ouest du pays, près de Lviv, à Khmelnytskyï, Vika raconte son quotidien alors qu’elle attendait de pouvoir retourner à Kiev. Elle explique qu’elle essayait de cacher ses émotions et sa tristesse à ses enfants. Elle ne pleurait pas devant eux. Elle leur disait que l’armée était là pour les protéger et que rien n’allait leur arriver « comme ça, ils étaient un peu tranquilles. Sauf une fois où ils ont vu une explosion. Ils ont entendu le bruit, ils ont vu la lumière et les vitres se briser. Ils ont eu très peur […] si les sirènes duraient trop longtemps, il fallait se cacher dans le couloir. Il y avait la règle des deux murs : il fallait que deux murs nous séparent de l’extérieur pour être en meilleure sécurité. »
La mère de Vika est de retour dans la région de Kiev. Vika est également retournée dans la capitale, par chance elle a retrouvé son appartement en bon état alors qu’il est situé à seulement dix minutes à pied du centre commercial Retroville qui a été bombardé au début du conflit. Elle a pu reprendre son poste d’ATSEM à l’école Anne-de-Kiev à la rentrée de septembre.
Vika a reçu 1480€ de la part de la cagnotte lancée par International Impact. Avec sa mère, elles ont décidé de commander de nouvelles fenêtres pour la datcha.
« Les gens continuent leur vie et essaient de faire de leur mieux pour rendre Makariv encore mieux que ce que c’était avant. »
En Ukraine, aucune ville n’est à 100% sûre. Mais Vika n’a jamais souhaité quitter son pays.
« On essaye de soutenir l’esprit des soldats, on reste tous optimistes. Je suis optimiste ! Je sais que la guerre se terminera un jour.
Avant le 24 février, en Ukraine, on pensait que la vie était meilleure ailleurs. Mais maintenant, c’est le moment où nous commençons à apprécier notre pays. La guerre nous a réveillés. On apprécie chaque jour qui passe, on ne planifie plus rien et on apprécie ce qu’on a. Il faut vivre maintenant… et je comprends que j’étais heureuse avant le 24 février, je menais la vie que je voulais, on a tout pour être heureux. »
Témoignage recueilli par Mona Lherondel, ancienne volontaire en service civique au Lycée français Anne-de-Kiev.